Le conseil agricole en France est dispensé en très grande majorité par des acteurs impliqués dans la vente d’intrants et de produits. Cette situation empêche un conseil objectif et freine la transition écologique de l’agriculture française. L’Union professionnelle du génie écologique et le Pôle national de conseil indépendant en agriculture s’associent pour alerter les ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture. Nous avons écrit le 20 octobre à messieurs Nicolas Hulot et Stéphane Travert sur l’urgence de mettre en place la séparation des activités de vente et de conseil. Cette mesure, que le Président de la République s’est engagé à mettre en œuvre durant sa campagne, est un préalable indispensable à la transition écologique de l’agriculture française.
Le conseil en agronomie et élevage est aujourd’hui majoritairement dispensé par les agents commerciaux de la distribution agricole : coopératives, négoces, groupements d’achat. Ces acteurs assurent également la vente des intrants et produits agricoles : engrais, semences, produits phytosanitaires, aliments et prophylaxie. Cette double activité assurée par les acteurs délivrant un conseil « gratuit »[1] et assurant la vente des intrants et produits crée une distorsion entre la finalité poursuivie par ces agents commerciaux de la distribution agricole et les intérêts de l’agriculteur. En effet, la rémunération de l’agent commercial dispensant le conseil dépend alors des volumes de ventes aux agriculteurs et non pas d’abord de la réussite agronomique et écologique de l’agriculteur à long terme. L’agent favorise logiquement les intérêts de son employeur. Comment un vendeur pourrait-il conseiller de moins utiliser ou de ne pas utiliser des produits qu’il vend, ou de conseiller des produits mieux adaptés que ceux qu’il vend, mettant ainsi en jeu sa rémunération et son emploi ? La recherche de profit à laquelle sont tenus les technico-commerciaux pousse à des choix agricoles et à une utilisation d’intrants déconnectée des besoins réels de l’agriculteur.
Les liens de dépendance des structures délivrant le conseil agricole avec la vente des produits empêchent donc un conseil objectif.
Un système de conseil empêchant la transition écologique
Le système actuel de conseil ne considère pas l’intérêt des agriculteurs en premier lieu et empêche ces derniers d’être des gestionnaires de territoire au service du bien commun, produisant des denrées tout en œuvrant en faveur des écosystèmes, des paysages ou encore de la qualité de l’eau et de la santé des consommateurs. Les enjeux agricoles, et plus encore, écologiques, sont incompatibles avec l’enjeu financier de l’agent commercial du distributeur agricole qui cherche à réaliser la marge maximale pour son employeur. Cette situation est donc inconciliable à long terme avec l’équilibre des écosystèmes et ne permet pas de conduire à la transition écologique dont a besoin l’agriculture française.
Le conseil indépendant
La séparation du conseil et de la vente est déjà mise en oeuvre en France depuis plusieurs années par les professionnels du conseil agricole indépendant. Bien que se développant rapidement, ce système de conseil reste extrêmement minoritaire. La spécificité du conseil indépendant est de n’avoir pas de tutelle commerciale ou administrative : aucun lien avec les vendeurs ou les industriels et pas de rémunération, directe ou indirecte sur la vente. Il se développe grâce à des résultats agronomiques efficaces et une vision holistique de l’exploitation agricole.
Le conseiller indépendant n’est animé que par les besoins de l’agriculteur : son objectif est d’améliorer la performance agronomique tout en développant une agriculture rentable, efficiente et durable. En plus d’améliorer la performance agricole, il met en oeuvre une approche holistique de l’exploitation en travaillant sur toutes les dimensions de l’agrosystème : économique, écologique et sociale, conduisant dans les faits les agriculteurs à mieux intégrer leur activité dans le fonctionnement de l’écosystème. En fait, la performance du conseil indépendant peut se mesurer à sa simple existence. En effet, le conseil dispensé aux agriculteurs étant habituellement considéré comme gratuit, si les agriculteurs paient pour un conseil indépendant, c’est que celui-ci leur apporte plus qu’il ne leur coûte par l’amélioration des itinéraires, la diminution des intrants, l’augmentation des rendements ou la vision globale de l’exploitation.
Séparer la vente et le conseil
L’intérêt de l’agriculteur, gestionnaire majeur des territoires, peut parfois être en conflit avec les objectifs du vendeur. C’est pourquoi le PCIA et l’UPGE affirment la nécessité de déconnecter totalement la vente de produits et d’intrants de l’activité de conseil agricole, en séparant les personnes et les organismes. L’objectivité du conseil ne sera garantie que par cette mesure. L’enjeu est immense puisqu’il s’agit de la gestion, par les agriculteurs, du bien commun que sont les écosystèmes, les paysages et la biodiversité française, et par là, la santé et le bien-être de notre société.
=> Retrouvez le courrier aux ministres et la note technique complète jointe au courrier.
Patrice VALANTIN
Président
Union professionnelle du génie écologique
Hervé TERTRAIS
Président
Pôle national du conseil indépendant en agriculture (PCIA)
[1] La prestation de conseil n’est le plus souvent pas facturée directement aux agriculteurs, mais est intégrée dans la vente des produits agricoles assurée en parallèle par l’agent commercial de la distribution agricole.