La prise en compte de l’effet du cumul des incidences sur les écosystèmes et les biocénoses, est un exercice systématiquement requis dans le cadre des dossiers réglementaires pour l’ensemble des projets d’aménagement et d’exploitation. Cependant celui-ci se révèle le plus souvent imprécis et en l’état actuel des pratiques, ne permet pas de conclure de manière satisfaisante.
Aujourd’hui, personne n’y trouve vraiment son compte. Le porteur de projet a en définitive l’impression d’être responsable de l’ensemble des projets antérieurs ou autorisés, mais non encore implantés, les services instructeurs restent la plupart du temps sur leur faim concernant les conclusions et leur exploitation dans l’évaluation des impacts tandis que les bureaux d’études se voient contraints d’appliquer autant de méthodes d’évaluation qu’il y a d’interlocuteurs différents : aucun cadre temporel ou spatial n’est en effet clairement établi, ce qui ouvre la voie à autant d’exigences que d’interprétations.
Pour illustrer cette hétérogénéité au sein d’un même service instructeur : il nous a déjà été demandé de réaliser une étude des effets cumulés sur une période de 40 ans, alors que sur un projet concomitant il nous est demandé de prendre en compte l’ensemble des projets déjà implantés faisant partie de l’État Initial et de considérer uniquement l’effet des projets à venir ayant fait l’objet d’un arrêté d’autorisation.
Réaliser ces évaluations se révèle également parfois très coûteux en temps, en efforts et en analyses. Lorsque le contenu de l’avis de l’Autorité Environnemental ne suffit pas, les évaluations sont souvent basées sur des études cartographiques diachroniques sans que l’on puisse disposer des éléments techniques nécessaires. Elles peuvent requérir d’aller chercher des informations précises (espèces, surfaces d’habitats, niveaux d’impacts, etc.) qui nécessitent alors d’avoir accès aux études d’impact complètes. Ceci implique, faute d’organisation d’une base de données disponible rassemblant les études précédentes, soit de contacter un à un chaque porteur de projet connu pour lui demander l’accès et l’autorisation d’utilisation de ses études, soit de se déplacer à la DREAL et à la DDT concernée pour retrouver et consulter sur place lesdites études.
En définitive, quel que soit l’effort consenti, aucune des analyses actuelles ne permet d’être conclusif dans notre évaluation quant aux effets de seuil d’effondrement des populations et des écosystèmes, ce qui est pourtant bien l’objectif de l’évaluation du cumul des incidences, si ce n’est de manière empirique et imprécise.
Se pose la question de la légitimité et de l’utilité de mener une telle étude pour chaque projet. Si dans le cadre de grands projets d’aménagements d’ampleur régionale ou nationale (lignes LGV, Autoroutes, etc.), l’étude des effets cumulés est tout à fait pertinente et mérite d’être spécifiquement développée par la Maîtrise d’Ouvrage, est-il utile d’exiger des porteurs de projets d’échelle plus réduite et de portée locale de mener une étude spécifique sur le cumul des incidences sur un territoire ? Quelle est la finalité de telles analyses, et comment est par exemple pris en compte l’effet de « mitage » du territoire par les petits projets ? Par ailleurs, comment découpler cette question des objectifs stratégiques de développement du territoire, sujet pour lequel le porteur de projet ne sera pertinent que dans son secteur, mais sans pouvoir maîtriser l’ensemble des objectifs socio-économiques dudit territoire ?
Il serait grand temps de changer de perspective et d’approche générale.
Une étude du cumul des incidences à l’échelle territoriale semblerait mieux répondre au besoin. L’idée proposée est de faire réaliser des études « cadre » pour chaque territoire, à l’échelle d’un PLUi, d’un SCoT (à définir) pour que chaque projet d’aménagement puisse y faire référence et s’inscrire dans un véritable schéma d’évaluation des effets cumulés. La séquence E-R-C s’en trouverait grandie : très peu d’études de faisabilité prennent en compte ce paramètre de façon pertinente à un stade suffisamment amont.
Ce travail serait à mener non seulement en parallèle mais en totale cohérence avec la stratégie compensatoire de chaque territoire : la compensation écologique doit en effet évoluer vers une planification stratégique à l’échelle de chaque bassin versant et de chaque massif. L’objectif serait donc de mettre les effets cumulés en cohérence avec une stratégie de conservation du patrimoine naturel plus globale d’entrée de jeu et non a posteriori et au coup par coup comme c’est le cas aujourd’hui.
C’est dans ce cadre que l’UPGE a décidé de mettre en place un Groupe de Travail sur la thématique des effets cumulés lors de sa dernière Assemblée générale et participera à l’organisation d’un événement sur le sujet organisé en fin d’année.
Mettre en place de nouveaux outils.
Une fois les échelles de temps et d’espace plus clairement définies et abordables, il reste à faire évoluer la méthode d’analyse afin d’appréhender objectivement des effets de seuil qui permettraient de définir quel niveau d’aménagement de l’espace serait acceptable au sein d’un même bassin versant, ou quels effets de césure peuvent être absorbés par les fonctionnalités locales sans risquer de voir décliner significativement les populations et les écosystèmes du territoire. Ces méthodes d’analyse existent aujourd’hui, notamment au travers des outils de modélisation des données environnementales et biologiques.
Par ailleurs, ECO-MED porte actuellement un projet pilote en partenariat avec l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Ecologie Marine et Continentale sur un territoire en Corse. La mission a été enclenchée cet hiver et consiste en une analyse des effets cumulés sur le territoire de 6 communes. Plusieurs projets structurants sont prévus à l’aune de 20 années. La DREAL Corse voudrait disposer des éléments tangibles pour définir les orientations de développement de ce territoire et délivrer des autorisations en accord avec la conservation du patrimoine naturel sensible de l’île. L’exercice doit permettre à partir de données écologiques et de leur modélisation de déterminer quels sont les scénarios d’aménagement soutenables d’un point de vue environnemental. La DREAL Corse et l’Autorité Environnementale disposeront ainsi d’un véritable outil d’aide à la décision pour définir les capacités d’accueil du territoire considéré en termes d’aménagement.
Alexandre Cluchier
Directeur R&D chez ECO-MED