L’évaluation des impacts indirects d’un aménagement sur l’écosystème, c’est-à-dire les conséquences de ses interactions avec les impacts des autres projets proches, existants, en cours de réalisation et futurs, est nécessaire pour disposer d’une représentation exhaustive des conséquences écologiques de cet aménagement. Les seuls impacts directs ne permettent pas d’intégrer toutes les répercussions écologiques du projet.
Par exemple, un écosystème perturbé par une succession de projets fera preuve d’une résilience aussi grande que son état écologique est bon. Il sera capable d’encaisser des pressions parfois très importantes sans que cela n’altère les services qu’il produit ou ne modifie en apparence son état. Puis, un impact supplémentaire, parfois négligeable au regard des précédents, peut venir détruire l’équilibre qui existait, souvent de manière irréversible. C’est ce qu’on appelle l’effet de seuil.
Tenir compte des conséquences écologiques indirectes est donc nécessaire si l’on souhaite réellement agir pour la préservation de notre patrimoine naturel.
Les effets cumulés sont une tentative de réponse réglementaire à cette problématique. Ils exigent de la part du maître d’ouvrage qu’un volet de son étude d’impact soit consacré au cumul des incidences du projet et de ceux l’entourant, dans l’espace et dans le temps.
Les effets cumulés
Lorsqu’un porteur de projet réalise une étude d’impact, il évalue les conséquences que l’aménagement aura sur le fonctionnement écologique du territoire sur lequel il s’implante au travers de :
- l’impact direct causé par le projet ;
- l’impact cumulé, qui évalue les conséquences des impacts directs ajoutés aux pressions déjà exercées par les projets existants alentour ;
- l’impact cumulé présumé, qui intègre les impacts des projets futurs.
Ces deux derniers points sont les « effets cumulés », leur étude est imposée par le Code de l’Environnement qui demande qu’une étude d’impact comporte une « évaluation du cumul des incidences » (Art. R 122-5).
Une obligation impossible à mettre en œuvre
Cette obligation d’évaluation du cumul des incidences se heurte à plusieurs difficultés insurmontables. En premier lieu, la responsabilité échoit au porteur du projet. Or celui-ci est non seulement la plupart du temps incapable de prévoir les futurs aménagements, mais il est également démuni à retracer l’histoire du territoire, ne pouvant disposer de la connaissance exhaustive nécessaire à cette étude. Il ne peut donc pas répondre à la question posée.
En deuxième lieu, l’entrée espèces et milieux proposée par l’étude d’impact (zones humides, espèces et leurs habitats protégés) rend compte d’une certaine richesse écologique, mais est incapable d’intégrer les fonctionnalités des écosystèmes.
Enfin, la disproportion entre la taille de nombreux aménagements de faible ampleur et leur niveau d’impact, parfois élevé à cause de multiples raisons (situation en tête de bassin versant, rupture de continuités écologiques, pollution…) rend le porteur du projet incapable de mener l’étude globale à cause du coût nécessaire, impossible à intégrer dans son budget.
Changer le niveau de regard
Le projet n’est donc pas la bonne échelle ni le maître d’ouvrage le bon acteur pour traiter ce sujet complexe. On ne peut y répondre en termes de responsabilité. En effet, qui doit répondre de la rupture d’un équilibre écologique ? Est-ce celui qui a donné le coup final, quand bien même les impacts antérieurs étaient bien supérieurs ? Quand plusieurs aménagements importants ont eu lieu, il arrive qu’aucun d’entre eux ne soit déterminant sur un enjeu écologique particulier : ce sera le quatrième, plus petit, qui fera s’écrouler l’équilibre en place. Qui est responsable ?
L’échelle de réflexion doit être le territoire, car ce qui importe en réalité n’est pas tant le niveau d’impact de tel ou tel projet que l’état écologique global de l’écosystème.
Il faut créer un tableau de bord écologique permettant la compréhension du fonctionnement des milieux naturels. Cet outil, développé au niveau du territoire, devra être mis à jour régulièrement et constituera un état des lieux dynamique de la biodiversité et des services écosystémiques, mesurant la qualité des milieux et leur évolution. Il aura un rôle d’aide à la décision permettant la mise en œuvre d’une réelle planification territoriale tenant compte des enjeux écologiques.
=> Suite du dossier Effets cumulés avec le point de vue de l’écologue : « Changer la perspective » par Alexandre Cluchier.
Thomas Redoulez
Délégué général de l’UPGE