Observation d’un jeune foyer de renouée du Japon sur une zone de stockage. Il faut être vigilant pour éviter que la renouée ne se répande sur le pourtour du lac. Crédits UPGE.
Les carrières, milieu constamment remanié et accueillant également des matériaux extérieurs, sont très souvent confrontées à l’installation d’espèces végétales invasives. Ces espèces allochtones (non indigènes) ultra-compétitives n’ont en effet aucune difficulté à se développer sur un terrain nu, et elles se répandent rapidement au détriment des autres espèces. Il n’est alors pas rare d’observer des champs entiers d’ambroisie à feuille d’armoise, des lacs recouverts de jussie à grandes fleurs, et des talus qui semblent plantés de renouée du Japon. Les conséquences sont non seulement d’ordre écologique –les espèces exotiques envahissantes sont aujourd’hui considérées comme l’une des principales menaces pour la biodiversité– mais aussi d’ordre économique, de par la perte de services écosystémiques et les coûts de gestion qu’elles induisent.
Un bassin tampon envahi par la jussie à grandes fleurs à Alcigné (35). Crédits F. Reichert.
Sur une carrière, le développement d’espèces exotiques envahissantes peut modifier profondément la gestion des surfaces réhabilitées, mettant à mal les travaux qui y auront été menés à la fin de la phase d’exploitation pour favoriser le retour de la biodiversité. Quel dommage de voir un milieu riche en espèces variées se dégrader et s’uniformiser sous la pression de ces espèces invasives ! Et pourtant, ce n’est pas une fatalité. Il existe bel et bien des outils et des méthodes pour prévenir l’installation de ces espèces, ralentir leur progression, réduire leur emprise spatiale voire les éliminer, notamment si le foyer est repéré suffisamment tôt.
En 2018, l’UPGE a organisé 5 journées de formations sur les espèces exotiques envahissantes végétales en carrières. C’est Sébastien Dellinger, de l’organisme Eco-Form’actions, qui a dispensé les sessions sur le terrain, auprès des stagiaires responsables foncier-environnement, chefs de site et chefs d’équipe. A l’issue des formations, les stagiaires étaient capables de reconnaître les principales espèces exotiques envahissantes sur leurs carrières, et ils ont commencé à construire ensemble des stratégies d’action adaptées aux circonstances.
Une session de formation en mars 2018 : matinée en salle et après-midi sur le terrain. Crédits UPGE.
« Maintenant on comprend mieux pourquoi on doit se préoccuper des invasives. Ce n’est pas pareil quand la DREAL débarque et nous ordonne de détruire un foyer de renouée du Japon, sans qu’on en comprenne les tenants et les aboutissants. Maintenant qu’on sait pourquoi c’est important, on peut prendre le problème en amont et être en avance par rapport à ce que la réglementation nous demande.» –un participant responsable de la production, à la fin d’une formation.
Lorsqu’on s’attaque au problème des espèces exotiques envahissantes, il faut se préparer à un dur combat qui peut parfois se révéler frustrant : pour un certain nombre d’espèces, il n’existe pas de méthode miracle et la plupart des moyens de lutte ne sont que partiellement efficaces. Souvent, il est même préférable de se limiter aux actions de prévention et de surveillance, car la lutte directe sur les foyers existants risquerait in fine de les renforcer…A l’échelle européenne, certains pays ont même refusé d’ajouter la renouée du Japon à la liste des espèces exotiques envahissantes, non pas parce qu’elle n’est pas envahissante, mais parce que les moyens disponibles actuellement pour la combattre sont trop insuffisants[1].
La gestion des espèces exotiques envahissantes, en carrière comme ailleurs, nécessite donc une bonne connaissance du sujet, et surtout une réflexion stratégique qui permet d’orienter les actions à mener. L’UICN a publié en 2016 un guide réalisé en collaboration avec des entreprises pour les accompagner sur la gestion des espèces exotiques envahissantes sur leurs sites. L’UPGE organise régulièrement des sessions de formation à destination des entreprises pour les aider à s’approprier le sujet et à définir leur stratégie d’action. Le groupe de travail IBMA a également publié récemment des ressources précieuses.
Sébastien Dellinger, écologue et formateur pour l’UPGE, nous invite à garder en tête que « l’une des plus grandes qualités de l’écologue, c’est d’être humble. » S’entend par là que l’éradication totale des espèces exotiques envahissantes à court ou même à moyen terme n’est pas un objectif réaliste. Et surtout, cela signifie que ce n’est qu’avec une mobilisation sans précédent de toutes les parties prenantes (collectivités territoriales, entreprises gestionnaires de foncier, organismes de recherche et de formation, entreprises d’horticulture et de jardinerie, paysagistes, particuliers…), et la participation de chacun à la surveillance et à la lutte, que le développement de ces espèces pourra être freiné de manière significative dans les années qui viennent.
[1] https://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2016/07/13/la-commission-europeenne-publie-la-liste-des-especes-invasives-a-combattre_4969046_1652692.html